Outre-Terre - Jean-Paul Kaufmann

Je vais vous présenter aujourd'hui "Outre-Terre" de Jean-Paul Kaufmann, publié aux éditions Equateur Littérature. Landais une grande partie de l'année, Jean-Paul Kaufmann est venu parler de son livre aux Rencontres à Lire 2016 à Dax, interrogé par Serge Airoldi et j'ai écouté ces échanges avec beaucoup d'intérêt.

Ce livre est une quête sur des lieux, des personnages, une véritable enquête sur l'humanité telle qu'elle se présente. Jean-Paul Kaufmann retourne avec ses mots à Koenigsberg en Prusse Orientale, lieu de naissance de Kant et de Hannah Arendt. Renommée Kaliningrad, enclave russe, il découvre le site de la bataille d'Eylau, moment fondamental mais occulté du mythe napoléonien. La bataille d'Eylau est une véritable boucherie, un carnage ce 8 février 1807. Napoléon veut reconquérir le champ de bataille en organisant un concours de peinture que l'on retrouve au Louvre avec la toile du baron Gros. En filigrane, se pose la question intemporelle : comment revient on d'un tel drame ? On approche de l'intime. Ce voyage fait avec son épouse et ses fils, est pour lui un acte de fidélité, de loyauté, à son enfance. Il fait une analogie au personnage du colonel Chabert de Balzac, terrible figure de l'absence à soi, à l'autre. Pour Jean-Paul Kaufmann, on est toujours un revenant d'un deuil, d'une maladie, d'une captivité. La similitude avec sa propre expérience est là : le monde a radicalement changé le temps de l'absence. Son métier avait changé : il n'était plus journaliste. Il lui fallait inventer autre chose. Eylau,  c'est l'annonce du désastre. Etrangement, l'ambiance et les lieux sont préservés depuis 1807, malgré la volonté des soviétiques de tout effacer. il est très intéressant de voir la manière dont les russes s'approprient l'histoire ! Eylau est la bataille des superlatifs : la charge de Murat est la plus grande charge de cavalerie européenne de tous les temps selon les spécialistes, qu'ils rapprochent d'une certaine manière de Bouvines.

Pourquoi l'a t on occultée ? Pour Jean-Paul Kaufmann, il y a un trou de mémoire dans le roman national. Cette bataille préfigure les hécatombes de la Première Guerre Mondiale. C'est une victoire à l'ancienne, annonciatrice d'une grande manipulation dans la peinture. Puis de nombreuses victoires napoléonniennes viennent occulter Eylau. Cependant, pour Léon Bloy, c'est la bataille d'Eylau qui synthétise Napoléon. L'église d'Eylau est une pièce maîtresse de cette quête, bien qu'elle ait été transformée en usine gardée. Jean-Paul Kaufmann n'a qu'un désir, monter en haut du clôcher qui a surplombé la bataille. Comme dans Vertigo de Hitchcok, la vérité jaillit des hauteurs. Et puis il fait régulièrement référence au "Cimetière d'Eylau" dans "La légende des siècles" de Victor Hugo ou à "Axelle" de Pierre Benoît, et je ne peux qu'être séduite.

Voici un extrait qui à mon sens approche pudiquement la démarche d'écriture de Jean-Paul Kaufmann :

"Cet attrait pour les fantômes de l'histoire, je l'ai toujours ressenti comme une expérience du temps, indice de ma propre insignifiance et de notre fragilité humaine. Symptôme aussi d'un vide qu'aucun subterfuge ne saurait transformer en présence. Preuve d'une perte irréparable entre le passé et nous. J'ai mis longtemps à comprendre que le passé n'était pas un refuge. Il ne me console aucunement de la médiocrité d'aujourd'hui. C'est la mise en absence qui m'émeut, le signe irrémédiable qu'il manquera toujours quelque chose. Seuls des personnages de roman comme me colonel Chabert parviennent' à combler le vide. Ce qui est sauvé à jamais de cette journée, c'est lui, le colonel de la Garde donné pour mort. Increvable. Pour toujours sain et sauf. Tout le monde a disparu. Il est l'eternel présent. Remuant, vigoureux, immortel."

Belle lecture à tous ...

Comments

[valerouchka]

Je l'ai offert à mon père, mais je n'ai pas eu l'occasion de le lire.

J'aime beaucoup Kaufmann!

A très vite!